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Confinement : l’école à distance a-t-elle mis en avant les inégalités sociales et territoriales ?

[© Sqool/Unowhy]

Alors que les écoles, collèges et lycées devraient reprendre progressivement à partir du 11 mai, la question de l'efficacité de l'école à distance est au cœur des discussion entre le ministère de l'Education, les enseignants et les parents d'élèves.

Le premier ministre Edouard Philippe, a souligné dimanche 19 avril qu'il fallait que les écoliers, les collégiens et les lycéens reprennent le chemin des établissements scolaires.

Alors que l'ensemble des élèves s'est retrouvé confronté aux cours à la maison, le gouvernement s'inquiète d'une situation qui a pu creuser les inégalités. Présente dans de nombreux départements français et équipant l'ensemble des lycées franciliens (avec 200.000 tablettes et PC), la société Unowhy, et sa solution Sqool, souligne l'importance de développer l'école du XXIe siècle, comme en témoigne son président Jean-Yves Hepp (photo ci-dessous).

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© Unowhy

Peut-on déjà tirer un bilan de ces semaines de cours à distance ?

Jean-Yves Hepp : Il est encore un peu tôt pour tirer un vrai bilan. Toutefois, il est clair que les choses ont été beaucoup plus vite dans les écoles qui avaient fait le choix de fournir du matériel individuellement aux élèves, car les enfants avaient l’habitude d’avoir le matériel chez eux et de travailler avec. Les choses ont été plus compliquées pour les classes mobiles, c’est-à-dire les solutions où le matériel est partagé entre plusieurs élèves mais qui restait dans les établissements. Les premiers jours ont été très compliqués pour certains élèves qui ne pouvaient pas revenir à l’école se procurer leur tablette ou un ordinateur portable.

La France n'était pas prête pour faire face à cette crise inéditeJean-Yves Hepp

La France est-elle exemplaire dans ce domaine ?

On se rend compte que la France est en retard sur le reste du monde, notamment l’Asie, parce qu’on ne décrète pas l’école à la maison du jour au lendemain sans avoir les outils nécessaires. De notre côté, notre rôle est d’accompagner les enseignants dans leur pratique numérique. Mais on note que pour tous ceux qui n’étaient pas préparés, c’est très difficile.

La France n’était pas prête pour faire face à cette crise inédite. On l’a vu, beaucoup de sites liés à l’éducation en ligne ont connu des difficultés importantes dès le début du confinement, plusieurs ressources étaient inaccessibles, tout comme certains ENT (espaces numériques de travail). Ça a été la pagaille. Quand on nous disait que tout était prêt partout, clairement c’était inexact. Aujourd’hui, il n’y a pas 12 millions d’équipements individuels en France qui permettent à chaque élève de se retrouver chez lui devant un écran prêt à travailler.

Les choix qui ont été fait par certaines collectivités ont-ils été facteurs d’inégalités ?

Ce n’est pas vraiment nouveau. Il y avait une espèce de doctrine qui avançait que fournir des équipements aux enfants n’était pas une priorité, car 98 % des familles sont équipées. Il faut manquer de pragmatisme pour penser cela. Une famille française moyenne compte quatre personnes, parfois plus dans certains endroits en difficulté et certains ont encore un vieil ordinateur à la maison. Comment faire dans ces cas-là ? Les enfants doivent s’y rendre à tour de rôle et parfois après leurs parents en télétravail ? Ça ne marche pas comme ça l’école. La France paye aujourd’hui des décisions qui n’ont pas été prises pour faire en sorte de réduire ces inégalités. Au contraire, ce qui se passe accentue les déterminismes sociaux. Finalement, le seul bon côté de ce confinement est de constater que ces problèmes sont aujourd’hui indéniables. On ne pourra plus dire «on ne savait pas».

Cette expérience va-t-elle redéfinir les usages numériques à l’école ?

Il y a quatre dimensions qu’il faut explorer pour que l’enseignement numérique fonctionne. La première est d’avoir de l’équipement. Et n’en déplaise à certains responsables politiques, même si certains enfants ont un smartphone, on ne fait pas cours exclusivement sur ce support. L’écran est trop petit, ce n’est pas adapté et tous les mobiles ne se valent pas. Deuxièmement, il faut aussi des logiciels qui vont permettre de gérer cette classe virtuelle, de gérer les cours et la distribution des copies à travailler, de gérer la prise de parole des élèves. Il faut donc des outils qui vont permettre de s’assurer du bon fonctionnement à distance de la classe.

Troisièmement, il faut des ressources et que ce ne soient pas de simples pdf, mais qu’elles utilisent pleinement le numérique, afin de renforcer le goût de l’apprentissage. Il faut aussi permettre aux enfants et aux adolescents d’y accéder facilement. Grâce à ces outils, de son côté, l’enseignant peut obtenir des informations sur les progrès et difficultés de ses élèves par exemple. Le quatrième point concerne d’ailleurs les enseignants, qui doivent être préparés et formés.

La vraie question est de savoir comment passe-t-on de l'école de Jules Ferry du XIXe siècle à l'école du XXIe siècle ?Jean-Yves Hepp, président de Unowhy

Cette crise met d’ailleurs en exergue ce sujet. Car la vraie question est aujourd’hui de savoir comment passe-t-on de l’école de Jules Ferry du XIXe siècle à l’école du XXIe siècle, dans un monde où le numérique facilite les expériences ? Il faut donc accompagner l’enseignant dans ce que le numérique change dans son métier. Dans sa façon de piloter la classe, de faire de la pédagogie différenciée en fonction des enfants, notamment en accompagnant davantage un enfant défavorisé par exemple.

Donner des tablettes aux élèves n’est donc pas la seule solution, il faut aussi investir dans la formation des enseignants et la transformation de l’école. Une crise sanitaire comme celle-ci doit amener une véritable prise de conscience, d’autant que d’autres crises peuvent survenir et l’on doit pouvoir se prémunir de situations où on n'abandonne pas des enfants à leur sort.

Les enseignants eux-mêmes réclament-ils des changements en ce sens ?

La France est passée des early-adopters (les premiers adoptants) aux early-followers (premiers suiveurs) chez les enseignants. Beaucoup ont vu des collègues s’y mettre très tôt et se sont dit pourquoi pas moi ? On ne peut pas dire aujourd’hui que 100 % des enseignants soient convaincus d’y aller. Mais il faut aussi les accompagner. Peut-être que cette crise va favoriser ce changement. Les enseignants sont des gens passionnés et investis, qui ont la volonté de transmettre des savoirs aux enfants et de les accompagner dans leur apprentissage. Il faut donc les convaincre que le numérique est un des moyens de les aider à laisser le moins possible d’enfants sur le bord de la route.

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